Les marchés de capitaux français et l’Ukraine : une collaboration stratégique en construction
05.11 23:07 | Fin.Org.UAAvant-propos : précision méthodologique
Cet article examine les initiatives actuelles et les projets potentiels de collaboration entre la France et l’Ukraine dans le domaine des marchés de capitaux. Pour respecter l’exactitude analytique, nous distinguons explicitement :
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✓ Les faits vérifiés (données de l’ESMA, Euronext, AMF, 2025)
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⚠️ Les initiatives en cours de développement (préfixe : « actuellement en cours », « prévision »)
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💡 Les scénarios hypothétiques (préfixe : « pourrait », « si », « selon les projections »)
Première partie : l’état actuel de la collaboration France-Ukraine en matière de marchés de capitaux
L’intégration réglementaire : MiFID II et CMU
Actuellement, la France, par l’intermédiaire de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), travaille à l’harmonisation réglementaire avec l’Ukraine dans le cadre de la Capital Markets Union initiée en 2015.
| Domaine | État actuel (2025) | Calendrier prévu |
|---|---|---|
| MiFID II | Implémentation en cours en Ukraine | Achèvement prévu : fin 2026 |
| CMU | Cadre de coordination établi | Intégration complète : 2029 |
| Directives de transparence | Partiellement harmonisées | Harmonisation complète : 2027 |
| Supervision prudentielle | En cours de discussion avec NBU | À déterminer |
Euronext et la Bourse ukrainienne : un partenariat en exploration
Euronext, le principal gestionnaire boursier français, explore actuellement — selon des sources du marché — la possibilité d’une intégration technique progressive avec la Bourse ukrainienne (PUAT). Cette collaboration s’inscrirait dans une approche graduelle :
Phase 1 (2025–2026) : Évaluation technique et audit des systèmes de la PUAT
Phase 2 (2026–2027) : Modernisation de l’infrastructure technologique ukrainienne
Phase 3 (2027–2028) : Intégration progressive des systèmes de clearing et de règlement
Toutefois, il convient de préciser que aucun accord formellement signé n’a été publié à ce jour (novembre 2025). Les discussions restent au niveau des études de faisabilité.
Les établissements de crédit français en Ukraine
Plusieurs institutions françaises opèrent actuellement en Ukraine ou envisagent une expansion :
| Établissement | Activités actuelles | Projections |
|---|---|---|
| BNP Paribas | Trading d’OVDP ; treasury corporate | Envisage : desk dedicated Ukraine retail |
| Société Générale | Banque d’entreprise ; financement | Prévoit : structuring de green bonds |
| Crédit Agricole | Présence limitée | À l’étude : agence de représentation |
| Allianz France | Assurance dommages | Exploration : fonds de retraite Pillar II |
| Axa France | Assurance multirisque | Projet : solutions de retraite occupationnelles |
| Engie | Investissements énergétiques (réels) | Confirmé : extension du portfolio ENR |
| EDF | Consultations stratégiques | À l’étude : cofinancement nucléaire post-guerre |
Deuxième partie : les directives européennes et leurs applications potentielles en Ukraine
La Directive IORP II : un projet d’harmonisation des systèmes de retraite
Actuellement, l’Ukraine ne dispose pas encore d’un système de retraite complémentaire d’entreprise (Pillar II) ni de retraite volontaire privée régulée (Pillar III).
La France, en coordination avec l’Union européenne, propose un modèle potentiel basé sur la Directive IORP II, qui établirait :
| Pilier | Caractéristiques | Gérant potentiel |
|---|---|---|
| Pilier I | Retraite publique d’État | État ukrainien |
| Pilier II (hypothétique) | Retraite d’entreprise compulsoire | Axa, Allianz (en contrat de gestion) |
| Pilier III (hypothétique) | Épargne-retraite volontaire | Insureurs français ; asset managers |
Important à noter : Aucune décision officielle n’a encore été prise par les autorités ukrainiens. Il s’agit d’une proposition en phase de discussion.
Les régulations MiCAR : tokenisation des actifs ukrainiens
L’AMF française a récemment achevé (novembre 2024) l’implémentation de la régulation MiCAR (Markets in Crypto-Assets Regulation). Selon les projections de cadres réglementaires, à partir de 2026, il serait théoriquement possible d’offrir des obligations ukrainiennes tokenisées (sous forme de jetons numériques) aux investisseurs français et européens.
Hypothèse de travail : Une obligation OVDP tokenisée pourrait offrir :
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Transactions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7
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Montants minimums d’investissement réduits (€100 au lieu de €1 000)
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Accès global direct (sans intermédiaire bancaire traditionnel)
Néanmoins, cette innovation reste entièrement dépendante de l’adoption réglementaire par les autorités ukrainiennes.
Troisième partie : les flux de capitaux actuels et les perspectives
Les obligations ukrainiennes (OVDP) : données vérifiées
Selon les données du ministère des Finances ukrainien (août 2025) :
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Encours total : 1,89 billion de hryvnias (~€50–55 milliards)
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Rendement en hryvnias : 16,5% annuel
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Rendement en devises : 4,06% annuel
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Participants français/étrangers : ~0,8% du marché
Projection prudente : Si l’intégration Euronext progresse comme prévu, la part des investisseurs étrangers pourrait s’élever à 15–20% dans les trois à cinq ans.
| Scénario | Hypothèse | Inflow estimé |
|---|---|---|
| Statu quo (pas d’intégration) | Les barrières réglementaires persistent | €0,5–1 Mrd / an |
| Intégration progressive (MiFID II + harmonisation) | Réduction 30–40% des barrières | €2–4 Mrd / an |
| Intégration complète (Euronext + CSD) | Parity avec marchés développés | €5–10 Mrd / an |
Quatrième partie : les avantages potentiels pour la France
1. Contrôle normatif et soft power financier
Si l’Ukraine adopte intégralement les standards français-européens (MiFID II, ESMA, AMF), la France acquerrait une capacité d’influence sur :
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Les décisions de politique financière ukrainienne
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La surveillance prudentielle du secteur bancaire ukrainien
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Les flux de capitaux entrant/sortant d’Ukraine
Évaluation géopolitique : Non quantifiable en termes monétaires, mais équivalent à une influence régionale accrue dans l’architecture financière post-conflit.
2. Revenus de commissions et d’intérêts
| Source | Estimation annuelle | Horizon |
|---|---|---|
| Commissions de trading (Euronext) | €200–300 M | 5–10 ans |
| Commissions de gestion (asset mgmt) | €150–250 M | 10–20 ans |
| Revenus d’intermédiation bancaire | €100–200 M | 5–10 ans |
| Total potentiel annuel | €450–750 M | — |
Ces chiffres représentent une estimation moyenne, basée sur des projections sectorielles et comparables de marché.
3. Accès à des actifs à haut rendement
Actuellement, les investisseurs français en obligations ukrainiennes obtiennent 16,5% de rendement contre 2,5% en France. Cet avantage demeurera tant que l’Ukraine reste en phase de reconstruction post-conflit.
Projection conservatrice : Les fonds de pension français et les assureurs pourraient allouer €5–10 milliards aux obligations ukrainiennes, générant un "delta de rendement" de €600–900 millions annuels par rapport aux actifs français.
4. Positionnement comme "fintech gateway" vers l’Europe de l’Est
Si la France et l’Ukraine parviennent à un modèle intégré de marchés de capitaux, cela pourrait servir de prototype pour d’autres pays candidats à l’UE (Moldavie, Géorgie). La France, en tant qu’architecte du modèle, bénéficierait d’une leadership position en Europe orientale.
Cinquième partie : les défis et les hypothèses critiques
Risques d’implémentation
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Le risque géopolitique : Une escalade militaire ou une dégradation sécuritaire en Ukraine réduirait considérablement tous les inflows de capitaux. Les calculs ci-dessus supposent une stabilité relative.
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Le risque de change : La hryvnia est volatile. Un effondrement de 30% annulerait les gains de rendement. Les investisseurs français privilégieront les obligations en devises (USD/EUR) offrant 4,06% plutôt que 16,5% en hryvnia, réduisant ainsi les inflows attendus.
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Le risque réglementaire ukrainien : L’adoption effective des standards français-européens dépend du consensus politique et administratif en Ukraine. Tout changement de gouvernement pourrait ralentir ou remettre en question ces réformes.
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La concurrence allemande : L’Allemagne, via Deutsche Börse, pourrait proposer une intégration concurrente à bas coût, réduisant ainsi la valeur relative de l’offre française.
Sixième partie : les scénarios contrastés pour 2030
Scénario optimiste (probabilité estimée : 40%)
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Implémentation complète de MiFID II et CMU en Ukraine
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Intégration technique avec Euronext effective
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Adoption du cadre IORP II
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Inflow de capitaux : €8–10 Mrd/an
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Revenus français : €500–750 M/an
Scénario médian (probabilité estimée : 45%)
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Implémentation partielle des normes
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Intégration progressive (T+1 plutôt que T+0)
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Adoption limitée d’IORP II (Pilier III uniquement)
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Inflow de capitaux : €3–5 Mrd/an
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Revenus français : €250–400 M/an
Scénario pessimiste (probabilité estimée : 15%)
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Stagnation des réformes réglementaires
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Maintien du status quo fragmenté
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Absence de partenariat Euronext-PUAT
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Inflow de capitaux : €0,5–1 Mrd/an
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Revenus français : €50–100 M/an
Conclusion : la stratégie française — patience et positionnement
La France n’affiche pas de stratégie bruyante envers les marchés de capitaux ukrainiens, contrairement à l’Allemagne avec son aide militaire massive. Néanmoins, par l’intermédiaire d’ESMA, AMF, Euronext, BNP Paribas et de ses assureurs, la République française construite progressivement une capacité d’influence financière qui, à long terme, pourrait s’avérer aussi structurante que les dépenses militaires.
Les avantages pour la France reposent sur trois piliers :
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Normatif : Établir les standards financiers européens en Ukraine = influence durable
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Commercial : Accès à des rendements supérieurs et à des marchés à fort potentiel de croissance
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Géopolitique : Positionnement comme acteur central de la reconstruction financière européenne
Toutefois, tous les scénarios présentés ci-dessus demeurent conditionnels à :
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La stabilité sécuritaire en Ukraine
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L’adoption volontaire des normes françaises par Kyiv
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L’absence d’interventions concurrentes d’autres puissances
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Le maintien de rendements attractifs
La France observe, planifie et positionne discrètement ses pions. C’est typiquement français : « In medias res tacite » — au cœur du jeu, mais en silence.

